L'époque de la première introduction du Dindon en Europe demeure incertaine. Des historiens assurent que cet oiseau était déjà connu des Romains. Cette affirmation parait controversée actuellement, et la date d'apparition du Dindon dans nos pays est certainement plus proche de notre époque. Le premier Dindon introduit en Europe aurait été celui offert par l'évêque Alexandre Geraldini au pape Léon X, en 1516.
Dés 1546, au banquet des " Pallinois de Rouen ", confrérie litteraire, le president Baptiste le chacelier relate qu'une Poule d'inde figure au premier service et ajoute-t-il, parmi les animaux domestiques la palme appartient sans nul doute à la castre de l'Inde. Les ordonnances de Charles IX, rendues en 1564, ne mentionnent que les pièces de volailles ou de gibier alors permises ou défendues. Très peu d'années après , en 1570, lors du mariage de Charles IX et d'Élisabeth d'Autriche, à Mézières, le Dindon occupe la place d'honneur sur la table. S'il reste rare pendant le règne d'Henri IX, cependant une <>, publiées en 1578 à Paris par Charles Etienne et Jean Lubault, nous annonce que “ celui qui nous apporte cet oiseau en France des Iles d'Inde, nouvellement découvertes par les Espagnols et les Portugais, soit que nous l'appelons Coq ou Paon d'Inde, nous a plutôt enrichis de gueule que de profit. C'est un droit coffre à avoine, un gouffre de mangeaille, ou l'on ne peut prendre autre plaisirs que le bruit et fureur quant aux glandes, ou d'un continuel piaulement quant aux petits; outre que l'un et l'autre sont sales et hideux à voir, à cause de leur difformité de tête, car le mâle n'a pas de crête élevée comme nos Coqs, mais au lieu de Crète a une carnosité rouge et sous le menton un palais gros et long, qui s'enfle et est tendu de diverses couleurs, quand il entre en furie. Vrai est que la chair est délicate, mais fade et dure de digestion, c'est pourquoi on le fait saupoudrer fort , larder et aromatiser. ”
Jusqu’à cette époque, le Dindon était connu sous le nom de Coq et de Paon d'Inde, son pays d'origine, l'Amérique, ayant d'abord été appelé Indes occidentales . Mais, à partir de Francois 1er , il reçoit en France le surnom de jésuite, ce qui autorise la supposition qu'à ce moment les Pères Jésuites l'ont importé à nouveau et s'en sont occupés d'une façon toute spéciale. Brillat-Savarin déclare que le Dindon a paru en Europe à la fin du XIIe siécle, qu'il a été importé par les Jésuites, lesquels élevaient une grande quantité, et spécialement dans une ferme aux environs de Bourges. Les Dindons se sont graduellement répandus en France. Cela vous explique que, dans beaucoup d'endroits et dans le langage familier, on disait autrefois et on dit encore: un Jésuite pour designer un Dindon.
C'est au XVIIe et au XVIIIE siècle que l'élevage du Dindon prend de l'extension et que acclimaté en Europe ,ou il vit également en liberté, il devient un gibier très apprécié. L'étude de M. A. Reader montre avec clarté les étapes successives qui marquent l'évolution progressive de la domestication, ou plus exactement de l'acclimatation du Dindon, surtout au titre de gibier.
C'est par erreur que, dans le "Praktisches Handbuch fur Jager", Otto Grashey, puis les deux écrivains cynégétiques qui revirent la dernière édition de son œuvre, attribuent au comte Breunner la première tentative d'acclimatation du Dindon sauvage comme gibier en Europe, et cela vers 1880. En effet, dés le milieu du XVIIIe siècle, cet oiseau existait déjà à l'état libre en Angleterre, sous le règne de Georges II, dans le vaste parc de Richmond, ou ce souverain les chassait au chien d’arrêt. Édouard Fesse raconte que les derniers de ces oiseaux furent exterminés en 1760, car ces pièces d'un poids plus respectable excitaient à tel point la passion des braconniers que les gardes-chasses étaient sans cesse obligés d'engager avec eux des combats meurtriers. Nous voyons donc que, plus d'un siècle , en ne tenant compte que de la date de 1760, avant leur acclimatation en Basse-Autriche, ces oiseaux vivaient en Angleterre. Cette tentative ne fut pas la seule tentée dans le Royaume-Uni. Les recherches d'E. Fesse encore, puis celle d'Hasting et de P.-A Pichot, nous apprennent que, de 1830 à 1837, les Dindons peuplèrent en nombre le parc de Windsor, ou les protégeait le roi Guillaume IV. De 1830 à 1866, ils furent successivement acclimatés dans les propriétés de Lord Leicester, dans le comté de gloucester; dans celles de Lord Leicester, dans le Norfolk ; dans le parc de Sir Watkin Williams Wynne, à Wynstay, ou on en compte jusqu’à cinq cent, et chez la marquise de Lothiau, à Aylsham. En 1866, M. Jhon Gilmour lâcha dans l'Argylshire des Dindons qu'il avait amenés de la région du lac Huron. Voilà donc toute une série d'importations de ce gibier, très antérieures à celle du comte Beunner.
Les deux arrivées successives, à des dates fort différentes, du Dindon d'Amérique en Europe méritent qu'on s'y arrête. Cet oiseau, qui existait déjà dans les fermes de France, sous François Ier, avait été importé, dés le commencement du XVI siècle , du Mexique en Europe, par les Espagnols, qui l'avaient déjà trouvé apprivoisé par les Aztèques, populations sédentaires et partant agricoles. M .de Homeyer, qui a beaucoup observé, en Allemagne, les Dindons qu'il avait acclimatés, dit qu'au bois qu'ils préfèrent de beaucoup a la plaine , ils se montrent plus farouches que les Faisans; ils piètent beaucoup et ne prennent le vol que lorsqu'ils sont brusquement surpris. En battue, ils fuient jusqu'à 50 mètres de la lignes des tireurs, qu'ils franchissent de haut vol , à l'approche des rabatteurs. Il note l'étonnante puissance et l'adresse du vol d'un oiseau aussi lourd, à travers les arbres. Sa chasse, en un mot, n'est pas bien émotionnante, mais par contre, sa taille, son poids, pouvant atteindre 30 livres, l'exquise délicatesse de sa chair doivent compenser largement ses défauts sportifs. Les Dindons paraissent avoir prospéré en des régions humides d'Europe, alors qu'ils ne réussissaient nullement dans d'autres; cela provient de leur origine différente et leur adaptation à des climats caractéristiques des régions américaines.
La ponte de la femelle, en Europe est de 10 à 15 œufs et même 20 œufs, qui demandent 31 jours d'incubations. Presque partout, on prenait la peine de les agrainer de mais, de blé, d'orge et d'avoine en hiver; ils sont très friands de glands et de baies, mais ne semblent pas, vu leur nombre restreint, avoir commis en Europe, les grands degats aux céréales qui les firent massacrer dans le nouveau continent par les colons, dont ils dévastaient les champs de mais et de blé.
Les acclimatateurs et observateurs du Dindon sauvage en Europe ne nous disent pas si l'on a noté, chez les sujets importés, un mouvement migratoire vers le sud, durant la mauvaise saison, comme l’exécutent leurs frères américains et dont Audubon nous a donné une vivante description dans ces scènes de la nature dans les États-Unis. Ces voyages s'effectuent, les sexes étant séparés, car les poules redoutent pour leurs jeunes, mêmes formes, les attaques des vieux coqs. Mâles ou femelles et jeunes de l'année se réunissent en compagnies comptant jusqu'à une centaine d'individus et se dirigent vers des contrées plus riches en nourriture. Lorsqu'ils rencontrent un cours d'eau, ils se concertent longtemps, puis gagnent le sommet d'arbres élevés, d'ou ils s’élancent pour le franchir: les jeunes, moins fort tombe souvent à l'eau durant la traversé, mais savent fort bien gagner, à la nage, la rive opposée. On a remarqué en Europe, qu'en hiver ces oiseaux se réunissaient sous la conduite d'un vieux Coq, ce qui ne concorde pas avec l'observation d'Audubon.
Au temps d'Audubon, les Dindons étaient si abondants dans le Kentucky qu'un sujet de 10 à 12 ibs, n'y valait que 3 cent et un fort exemplaire de 25 à 30 seulement, un quart de dollar.
En Angleterre, en Allemagne, en Autriche, Hongrie, les causes de la réussite de l'acclimatation du Dindon doivent être recherchées dans la grandeur des domaines ou ils furent lâchés et dans la très rigoureuse surveillance dont ils furent l'objet ; en France comme l'écrivait Pierre-Amédée Pichot, le peu de respect que l'on a pour des animaux ne vous appartenant pas, trouvés en rupture de ban, est un grand obstacle à l'acclimatation des gibiers étrangers. Les Dindons de M. Edgar Roger sortaient sans cesse de sa propriété et se faisaient tuer par les riverains. En Allemagne, pays par excellence de la réglementation rigoureuse et raisonnée de la chasse, l’état est venu donner son appui aux efforts des particuliers. La loi prussienne sur la chasse, interdit le tir du Coq d'Inde, du 14 Mai au 16 Octobre; de la femelle, du Ier Janvier au 16 Octobre; en Hesse les deux sexes sont protégés du 1er Février au 31 Aout pour les Males, du Ier au 31 Aout pour les femelles.
On doit considérer la race mexicaine de ce gallinacé comme l’ancêtre du Coq d'Inde, actuellement si répandu et apprécié. Les Dindons domestiques d'Amérique sont sans doute de même origine, y ayant été réimporté d'Europe. Les trois autres variétés de Dindons sauvages américains occupaient des territoires ou ne vivaient que des populations chasseresses et errantes , qui ne firent aucune tentative pour le domestiquer, mais qui, au contraire, en éclaircirent formidablement les rangs; c'est d'elles que descendent les sujets importés, beaucoup plus tardivement, à titre de gibier, en Europe.
Les naturalistes américains reconnaissent quatre races ou variétés de Dindons: celle du Mexique, celle de Floride, celle de Rio-Grande et celle des États du Nord, qui étant la moins raréfiée par la chasse et les progrès de la civilisation, a fourni les sujets qui sont venus peupler les chasses européennes. Le Dindon ocellé, que des ornithologues classent à part, comme Dindon -Paon, n'est pas compris dans les variétés ci-dessus.
Le naturaliste Gould estime que les deux races Mexicaine et Américaine ont contribué à la création du Dindon domestique. De plus, des Dindons domestiqués, même provenant d'Europe , ont fort bien pu s'hybrider avec les sauvages, dans les grandes fermes américaines. Depuis 1880, date de l'expérience du comte Breunner, jusque en 1889, on enregistre en l'acclimatation, en liberté du Dindon sauvage, par des amateurs dans les localités suivantes: en 1881, par le duc d'Angyle à Inverary ; en 1886 dans le domaine de Tolis en Hongrie ; en 1889 par M. Bally dans le duché de Bade ; en 1890 par le comte Andrassy sur son domaine de Betler en Hongrie ; vers la même date dans les chasses impériales, à Godollo ( Hongrie ) et en Thuringe; en 1899 dans l'Argyslhire par le marquis de Lone; en France par M.Edgard Roger au château de Nandy; en Moravie par le prince de Metternich, etc.
L’expérience du comte de Breunner à Grafency en Basse-Autriche fut des mieux réussies. Il débuta avec trois Coq et Quatre Poules provenant directement d'Amérique. Six ans plus tard , il pouvait compter de 400 à 500 Dindons sur sa chasse et 570 en 1888, auxquels il faut ajouter 150 pièces tuées durant la saison et autant d'égarées et tuées sur les chasses voisines. Le prince héritier Rodolphe tua, en un jour 14 Dindons à Grofenegg, le plus beau sujet pesait 9,5kg. Les observations faites sur ce gibier différent assez entre elles; cela résulte de l'état de plus ou moins grande sauvageries des sujets tout au moins en ce qui concerne leurs allures en face du chasseur. Les Dindons du parc de Georges II se branchaient devant les chiens et étaient tirés par le souverain dans cette position assurément peu sportive.